Construite dans un agencement aléatoire de pierres vertes et blanches et posée sur un gazon soigneusement coupé à 475 mètres d’altitude, la petite église Saint-Michel de Murato semble avoir été transposée d’un autre monde sur ce site isolé (le superbe site de Lourinion) en Haute Corse, dans la région du Nebbio plus exactement. En 1839, Mérimée évoquait Saint-Michel de Murato (San Michele di Muratu) comme « la plus élégante et la plus jolie église qu’il ait vu en Corse ».
Et c’est vrai qu’elle est magnifique avec ces deux couleurs, elle me rappelle beaucoup certaines églises italiennes construites également de pierres vertes et blanches (mais en beaucoup plus petit), comme la magnifique cathédrale de Sienne, qui mêle les styles romans, toscans et gothiques. Ici, le choix des pierres, le calcaire de Saint-Florent et la chloritite (ou serpentine) du Bevinco, ont permis aux maîtres maçons et sculpteurs de laisser libre-court à leur créativité.
Ce que raconte la légende…
On raconte que les habitants du village de Murato se sont réveillés un matin pour constater que la forêt épaisse qui couronnait une colline au-delà de leurs maisons avait disparu.
À sa place se trouvait une église étrange et merveilleuse. Elle avait été construite en une seule nuit par des anges. Ceux-ci auraient choisi un site très boisé pour dissimuler leur travail. Les arbres, au matin, auraient été abattus pour dévoiler la belle église !
La vraie histoire…
L’explication la plus pragmatique est que San Michele de Murato a été construite vers 1140, vers la fin de l’époque où la Corse était gouvernée par la cité-État de Pise… et bien avant que la France ne revendique l’île. La structure simple, semblable à une grange, est typique du style roman pisan (le clocher est un ajout ultérieur). Elle est remarquable, cependant, non seulement pour sa structure asymétrique en pierre, mais également pour l’embellissement de petites sculptures.
Animaux croassants, figures humaines d’apparence primitive et symboles étranges ornent les arcades d’entrée et les hautes arcades qui entourent l’extérieur. Au-dessus d’une ouverture de fenêtre étroite, une Ève nue aux mains énormes se voit attribuer une pomme par le serpent. En dessous, une bande de vignes est flanquée d’un ange et d’un homme brandissant un couteau.
Saint Michel de Murato serait une église pievane, de la Pievanie du Bevinco. Au 12ème siècle, après avoir chassé les Sarrasins, Pise entreprend de doter l’île de véritables structures institutionnelles, religieuses, administratives et judiciaires. La Corse est alors divisée en entités géographiques et religieuses, les « Pieve ». C’est à travers cette organisation que la République de Pise exerce son pouvoir administratif et ses responsabilités économiques. Pendant environ 200 ans, temps de la « Pax Pisana », des ports sont ouverts, la liberté du commerce rétablie, le littoral sécurisé et les corses quittent les hauteurs pour occuper et mettre la plaine en culture.
Période heureuse au cours de laquelle la Corse connait la prospérité, l’église Saint-Michel de Murato est sans aucun doute une magnifique illustration de l’art romain pisan et, probablement, un exemple de l’organisation sociale et politique des 12ème et 13ème siècles où l’église assure aux populations de la Pieve, sécurité, développement et justice. Avec son étonnant clocher-porche, rebâti trop haut au 18ème siècle, ses modillons sculptés, ses chapiteaux gravés, la fantaisie de son parement et son abside semi-circulaire, l’église piévane de San Michele mérite largement son classement aux Monuments Historiques obtenu en 1875.